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Se former au handicap ≠ se former au validisme

Illustration de style bande dessinée. Dans une bulle de dialogue, un texte écrit en lettres capitales dit : « Je travaille avec des personnes handicapées, comment faire pour ne pas être validiste ? ». En dessous, on voit une personne dessinée avec des cheveux mi-longs et une frange, la bouche ouverte comme si elle parlait. Le fond est une texture beige rosée.

En France, beaucoup pensent qu’une « formation au handicap » suffit pour agir correctement auprès des personnes handicapées. On apprend alors les besoins techniques (fauteuils roulants, Langue des Signes, soutiens psychologiques, droit du travail adapté…), sans forcément questionner les représentations qui sous-tendent notre regard. Pourtant le validisme est une oppression à part entière : c’est « l’ensemble des discriminations systémiques subies par les personnes handicapées », un système de valeurs qui fait des personnes « valides/sans handicap » la norme sociale, excluant implicitement les autres. Or, ce validisme reste largement méconnu – même chez les professionnelLEs de santé ou les aidantEs – alors que les représentations et préjugés qu’il induit ont des effets néfastes concrets sur le quotidien des personnes handicapées. Il faut donc distinguer clairement formation au handicap (connaissances techniques) et formation au validisme (conscience politique et sociale).


Handicap et validisme : deux formations distinctes souvent confondues

Les formations « au handicap » abordent généralement la diversité des déficiences (moteur, sensoriel, mental, cognitif, neuroatypies…), les bonnes pratiques d’accompagnement, l’accessibilité et le cadre légal. Elles sont souvent centrées sur le modèle médical : expliquer les pathologies, adapter l’environnement, rendre l’école ou l’entreprise accessible, sensibiliser aux gestes d’urgence… Tout cela est utile. En revanche, ces sessions négligent souvent la dimension idéologique : on n’y apprend pas à reconnaître et déconstruire les stéréotypes ni le jugement de valeur qui entoure le handicap. Par exemple, on ne vous explique pas toujours qu’un compliment paternaliste (« Vous êtes si courageux de… »), un regard de pitié ou une caresse condescendante font partie des comportements validistes – au même titre que des discriminations ouvertes.


La formation au validisme, elle, invite à questionner nos représentations : en partant de la définition historique d’« ableism » (apparue aux États-Unis dans les années 70-80), qui désigne « une dichotomie hiérarchisée entre valide et handicapéE dans un système oppressif ». Cette approche critique du handicap considère que c’est la société (ses normes, ses institutions, ses émotions) qui sépare et relègue les « inadaptés », pas le handicap en soi. Ainsi, on étudie les mécanismes sociaux (éducation, médias, travail, droits, marginalisation) qui stigmatisent les personnes handicapées, plutôt que le handicap comme problème individuel.


En pratique, cela signifie apprendre à repérer les idées reçues (« les handicapéEs sont … », « iels ont besoin de notre pitié/charité », « iels n’ont pas de sexualité », etc.), et surtout à comprendre leur impact. Les collectifs antivalidistes insistent sur cette dimension : ils rappellent qu’être aidantE, parent ou soignantE ne préserve pas du validisme. Au contraire, unE aidantE « valide » peut, sans y penser, adopter un rapport de dépendance et de pouvoir sur la personne handicapée. Par exemple, Les Dévalideuses décrivent l’« aidantE valide » qui, même bien intentionnéE, « se sent investiE… d’une mission et d’un pouvoir particulier sur nous. […] Vous nous informez, nous soignez, nous lavez, nous torchez... Vous nous faites sentir que l’on dépend de vous, que l’on dérange. Notre corps, ce boulet qui vous encombre… ». Ce ne sont pas des cas isolés, mais des comportements fréquents, issus d’une vision méconnaissant l’autonomie réelle des personnes handicapées.


On parle même parfois de « validsplaining », analogue au « mansplaining » : unE valide non-spécialiste (proche, employeurE, amiE) persuadéE de tout savoir, qui « nous explique avec ardeur ce que nous devrions faire ou penser pour aller mieux », sans tenir compte de nos expériences propres. En somme, connaître tous les types de handicap ne protège pas du validisme : on peut savoir ce qu’est la myopathie ou la trisomie tout en traitant les personnes concernées comme des êtres enfantins, dépendants, ou « inspirants » simplement parce qu’iels accomplissent une tâche quotidienne. À l’inverse, unE soignantE peu informé des pathologies précises peut très bien œuvrer pour l’inclusion, le respect et le pouvoir d’agir des patientEs – c’est la lutte contre les préjugés qu’il faut aussi former en priorité.


Héritage institutionnel et charité religieuse en France

Pourquoi la formation antivalidiste est-elle encore si rare en France ? Une raison est historique : pendant des siècles, le handicap a été perçu sous le prisme de la charité chrétienne et des institutions. Par exemple, au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, l’Église et la royauté faisaient des personnes handicapées des figures de pitié légitimes. Comme le note l’historien Gildas Brégain :

« L’Église a longtemps promu une représentation compassionnelle de la personne handicapée. Elle a contribué à ce qu’on les légitime comme des êtres inactifs, qui ont besoin d’une aumône et ne peuvent être autonomes. »

Cette vision spirituelle et paternaliste a durablement ancré l’idée que le handicap se traite par la générosité, non par la justice ou l’égalité. Les Hôtel-Dieu, fondations médiévales chrétiennes, accueillaient les « infirmes » pour de l’aumône, les retenant en marge de la vie publique. Plus tard, les hôpitaux et colonies agricoles (au XIXᵉ siècle) établissaient un modèle carcéral pour « les invalides », en séparant « ceux qui ont droit d’être aidés » des autres.


Au XXᵉ siècle, ce régime évolue peu en France : une forte culture institutionnelle subsiste. Aujourd’hui encore, des centaines de milliers de personnes handicapées vivent dans des établissements médico-sociaux (Établissements et Services d’Aide par le Travail, instituts médico-pédagogiques, etc.), avec aucune autonomie réelle. Les ONG internationales et même l’ONU pointent ce retard. Un récent rapport onusien rappelle que « les autorités publiques, les professionnelLEs et les fonctionnaires ne sont guère conscientEs des effets négatifs du placement en institution… et il n’existe pas de plan d’action visant à mettre fin à cette pratique ». En clair, la France peine à sortir d’une logique paternaliste : même lorsqu’on forme les professionnelLEs à accueillir des élèves handicapéEs ou à soigner des patientEs en situation de handicap, on ne remet pas toujours en question les solutions « tout institution ».


Cette inertie pèse lourd dans la formation : on y enseigne souvent « comment faire bien », sans interroger le pourquoi. Les cursus infirmiers, médico-sociaux ou d’aide à la personne incluent certes des enseignements sur le handicap, mais rarement des modules explicites sur les discriminations ou les idéologies. Le validisme est un concept récent en France (années 2000) et peine à être intégré au monde académique et professionnel. De plus, de nombreuses institutions traditionnelles (associations gestionnaires, syndicats, partis) ont longtemps promu un discours de protection et de prise en charge plutôt qu’un discours de droits et d’émancipation. Le constat est que, aujourd’hui, unE directeurice d’ESMS ou unE chefFE de service éducatif peut ne pas connaître le terme de « validisme », comme l’admettait encore fin 2018 Sophie Cluzel (alors secrétaire d’État au handicap).


Par conséquent, former uniquement aux aspects médicaux et administratifs du handicap ne fait pas disparaître les préjugés. UnE médecin ou unE accompagnantE peut maîtriser les gestes techniques (positionnement, transferts, communication augmentée) tout en continuant à interdire (consciencieusement) la sexualité d’unE résidentE, à infantiliser unE patiente âgéE ou à penser qu’une personne avec trisomie « ne comprend pas ». Sans sensibilisation spécifique au validisme, ces attitudes semblent « normales » dans le cursus, car c’est la culture ambiante qui le veut.


Agir : se former, et faire évoluer les formations

Pour toustes (professionnelLEs de santé, du médico-social, enseignantEs, aidantEs, grand public), la prise de conscience est la première étape.

Sur le plan pratique, on peut s’engager à :

  • Questionner ses réflexes (« suis-je en train de faire la charité ou de promouvoir l’égalité ? »).

  • Écouter d’abord la personne handicapée pour comprendre ses besoins, plutôt que d’imposer nos solutions.

  • Utiliser des outils pédagogiques accessibles (mots et images qui valorisent l’autonomie) et éviter le discours des sauveureuses.

  • Exiger et suivre des formations.


Les formations au validisme doivent devenir obligatoires dans tous les cursus liés au handicap. Comme le souligne un article militant : « Les professionnelLEs ne connaissent pas assez les actions de lutte contre le validisme menées dans d’autres pays : ces campagnes de sensibilisation n’ont pas l’impact de celles menées dans les pays anglo-saxons, plus spectaculaires, soutenues par la société… Le slogan “rien sur nous sans nous” ou la simple notion de “validisme” viennent de l’étranger et mettent du temps à être connues en France » Aujourd’hui encore, l’Université peut faire un cours sur la « différence » sans inviter aucune personne concernée à parler.


Agissons concrètement : il ne suffit plus d’« aimer les personnes handicapées » pour dire que l’on n’est pas validiste. Il faut aussi apprendre à les traiter comme des sujets de droits et de désirs, sans condescendance. Les pouvoirs publics et employeurEs doivent intégrer des cours sur le validisme dans la formation initiale des soignantEs, travailleureuses sociaux•les et enseignantEs. Les dirigeantEs doivent reconnaître dans le handicap un enjeu politique de justice sociale, pas seulement un problème de santé.


Vous pouvez dès maintenant suivre des formations dédiées au validisme (colloques, webinaires, conférences…). Les Dévalideuses ont mis en ligne des « bonnes résolutions antivalidistes ». Écoutez RÉELLEMENT les personnes handicapées elles-mêmes : c’est en connaissant leur expérience qu’on évitera de parler pour elles sans les faire participer.

En conclusion, former uniquement aux différents handicaps ne suffit pas, parce que le validisme est une lutte idéologique bien plus vaste. On peut être professionnelLE du handicap et rester validiste.


L’appel à l’action est clair : révisons nos pratiques, faisons de l’antivalidisme un principe politique, et exigeons des cursus qu’ils intègrent des enseignements sur cette oppression. C’est ainsi que la « bonne action » deviendra une transformation sociale, et non une simple compassion dépolitisée. Ne nous contentons plus de nous former au handicap sans questionner nos privilèges : formons-nous aussi contre le validisme pour que tous puissent vivre dignement, avec les mêmes droits et libertés.


Retrouvez toutes les informations sur mes formations et conférences/ateliers.



Sources :

Nos corps, nos choix, Les Dévalideuses, 2020



 
 
 

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