Non binaire ET handicapéE ? Voilà pourquoi ça dérange
- Laetitia Rebord
- 11 juil.
- 4 min de lecture

Le 14 juillet, c’est aussi (et surtout) la Journée internationale des personnes non binaires. Une occasion précieuse de mettre en lumière des vécus encore largement méconnus, notamment celleux qui se situent à l’intersection entre identité de genre et handicap. Invisibilisées, marginalisées, les personnes concernées subissent une multiple exclusion. Parlons-en.
Qu’est-ce que la non-binarité ?
La non-binarité désigne toute identité de genre qui ne se conforme pas au modèle binaire homme/femme. Certaines personnes non binaires se définissent comme agenres, fluides, multigenres, ou se sentent à la fois homme et femme. D'autres encore rejettent totalement les catégories de genre existantes.
Ces identités ne sont ni nouvelles ni marginales : elles ont toujours existé dans de nombreuses cultures à travers le monde. Ce qui est nouveau, c’est leur visibilité dans les espaces publics et militants — et, peu à peu, dans certaines institutions.
Mais dans de nombreux contextes, en particulier médicaux et médico-sociaux, la reconnaissance de ces identités reste quasi inexistante.
Handicap et genre : une double invisibilisation
Lorsque l’on vit avec un handicap – qu’il soit moteur, sensoriel, intellectuel, psychique ou neurodéveloppemental – l’accès à une reconnaissance pleine de son identité de genre devient encore plus compliqué.
Dans les établissements médico-sociaux notamment, l’identité de genre est souvent considérée comme secondaire, voire superflue. On suppose que la priorité est "l’autonomie", "les soins", "la sécurité". Ces discours, parfois bien intentionnés, traduisent le validisme structurel : cette idée selon laquelle les personnes en situation de handicap auraient moins besoin de reconnaissance sociale, de vie affective ou d’expression de soi.
Mais l’identité de genre n’est pas un "luxe". C’est une dimension fondamentale de l’existence humaine.
Pour les personnes non binaires en situation de handicap, l’invisibilisation est donc double :
leur genre est nié ou ignoré ;
leur capacité à se définir elles-mêmes est remise en question.
Neuroatypies et non-binarité : des ponts fréquents
Un nombre significatif de personnes non binaires sont également neuroatypiques — c’est-à-dire concernées par des diagnostics comme les TSA (troubles du spectre de l’autisme), le TDAH, ou encore des troubles dys.
Pourquoi cette convergence ?
Les personnes neuroatypiques ont souvent une perception du monde qui questionne spontanément les normes établies : normes sociales, relationnelles, langagières — et donc aussi normes de genre.
Elles peuvent :
ressentir une distance vis-à-vis des rôles genrés traditionnels ;
ne pas se reconnaître dans les injonctions à “agir comme une fille” ou “se comporter en homme” ;
avoir un rapport au corps ou à l’expression émotionnelle qui rend les catégories genrées peu pertinentes.
Ce n’est pas un effet de mode, ni une “confusion” liée à un trouble. C’est une affirmation d’une identité propre, qui refuse les étiquettes imposées.
Cisnormativité dans le médico-social : les barrières à l’affirmation
Dans les structures médico-sociales (FAM, IME, ESAT, EHPAD, hôpitaux psychiatriques…), les normes binaires sont encore la règle :
Chambres genrées, sans prise en compte des identités de genre vécues ;
Pronom inadapté utilisé par le personnel, souvent sans formation ;
Accès aux soins genrés (gynécologie, urologie, etc.) non respectueux ;
Refus de prise en compte du changement de prénom, même lorsqu’il est officiel.
Ces environnements cisnormés empêchent souvent les personnes concernées de s’affirmer. Certaines doivent cacher leur genre. D’autres renoncent à demander du soutien, de peur d’être moquées, rejetées, ou psychiatrisées davantage.
Dans les pires cas, l’expression de genre non conforme est perçue comme un “symptôme”, une “phase” ou un “trouble de la personnalité” — pathologisation fréquente dans les milieux encore peu formés aux questions LGBTQIA+.
Témoignages silencieux
De nombreuses personnes non binaires en situation de handicap évitent d’en parler, par peur des conséquences. D’autres n’ont pas les moyens de s’exprimer : elles ne sont pas crues, pas écoutées, pas comprises.
Et pourtant, leurs récits existent : sur les réseaux, dans les associations, à travers les militances croisées.
Elles racontent :
le refus d’un changement de prénom dans leur dossier médical ;
le manque total d’intimité dans les soins genrés ;
le regard jugeant de professionnelLEs qui “n’ont jamais entendu parler de non-binarité” ;
la solitude, l’isolement, l’incompréhension familiale ou institutionnelle.
Ces récits doivent être entendus, valorisés, transmis.
Ce qu’il faut changer : vers une vraie prise en compte
La considération des personnes non binaires et en situation de handicap passe par :
Des formations systématiques aux identités de genre pour les professionnelLEs du médico-social et de la santé ;
Une adaptation des protocoles de soins, intégrant la possibilité d’une expression de genre libre ;
Des espaces sécurisés où les personnes concernées peuvent s’exprimer sans peur ;
Un respect rigoureux des pronoms, prénoms et identités vécues ;
La valorisation des vécus croisés : entendre les voix à l’intersection entre genre et handicap.
Il ne s’agit pas de faire des “exceptions” mais de transformer profondément nos institutions pour qu’elles accueillent toutes les personnes, dans toutes leurs dimensions.
Intersectionnalité et justice sociale
Ce que nous dit cette Journée internationale des personnes non binaires, c’est que le genre n’est pas un détail. C’est un pilier de l’identité humaine.
Ce que nous rappellent les personnes en situation de handicap, c’est que l’inclusion ne peut être réelle que si elle est totale — corps, genre, esprit, parole, vécu.
Nous ne pourrons parler de justice sociale tant que certaines identités doivent rester cachées pour être soignées, tant que nous excluons au lieu d’accompagner.
Les luttes des personnes non binaires et handicapées ne sont pas des causes séparées. Elles se rencontrent, se renforcent, et doivent être entendues ensemble.
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