Ménopause et handicap : quand le validisme aggrave l’invisibilisation des personnes ayant un utérus
- Laetitia Rebord
- il y a 4 jours
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Sortir du tabou et du prisme cisnormé
On parle souvent de la ménopause comme d’une « affaire de femmes », un sujet intime et universel à la fois. Pourtant, cette vision est réductrice. Toutes les personnes qui ont un utérus – qu’elles soient femmes cisgenres, personnes trans, non-binaires ou intersexes – peuvent traverser la ménopause. Employer cette expression inclusive n’est pas un simple choix de vocabulaire : c’est une manière de reconnaître les vécus multiples et de ne pas exclure celleux qui sont déjà trop souvent marginaliséEs dans les discours médicaux et sociaux.
Et quand on ajoute à cette réalité celle du handicap, l’invisibilisation atteint un autre niveau. Car les personnes handicapées ayant un utérus sont quasiment absentes des politiques de santé, des campagnes de sensibilisation, des protocoles médicaux… et même des conversations publiques autour de la ménopause. Ce silence n’est pas neutre : il relève d’un validisme systémique qui nie ou minimise leurs besoins.
Un double oubli : ménopause et handicap, un croisement ignoré
La ménopause est une étape biologique majeure. Elle s’accompagne de nombreux symptômes – bouffées de chaleur, troubles du sommeil, sécheresse vaginale, douleurs articulaires, baisse de libido, troubles cognitifs – qui peuvent profondément affecter la qualité de vie. Pour une personne en situation de handicap, ces symptômes peuvent être amplifiés ou compliqués par des limitations préexistantes.
Les personnes ayant un handicap moteur peuvent voir leur mobilité se dégrader encore plus en raison de l’ostéoporose ou de l’arthrose, menaçant leur autonomie.
Celles avec un handicap sensoriel peuvent subir une fatigue accrue ou une désorientation liée aux troubles du sommeil.
Celles vivant avec un handicap intellectuel peuvent rencontrer des difficultés à comprendre les changements hormonaux ou à exprimer leurs besoins.
Pourtant, cette réalité est très peu étudiée. Les politiques publiques ne prennent que rarement en compte l’intersection entre ménopause et handicap. Même le rapport parlementaire Rist (2025), pourtant salué pour ses 25 recommandations sur la ménopause, n’évoque les personnes handicapées qu’à la marge. C’est largement insuffisant.
Le validisme médical : un obstacle systémique à l’accès aux soins
Ce silence institutionnel s’enracine dans un problème plus profond : le validisme médical.
Le validisme, c’est ce système d’oppression qui considère les corps valides comme la norme et marginalise tous les autres.
Dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive, il se manifeste par des idées fausses persistantes :
que les personnes handicapées seraient asexuées ou non concernées par la sexualité ;
qu’elles n’auraient pas besoin de suivi gynécologique régulier ;
voire qu’elles ne seraient pas concernées par la ménopause.
Ces préjugés ont des conséquences graves. D’après l’association Coactis Santé, de nombreuses personnes en situation de handicap n’ont jamais reçu d’informations adaptées sur ce qu’est la ménopause. Certaines ignorent même que leurs règles s’arrêteront un jour. Une étude britannique citée par l’Association Francophone de Femmes Autistes (AFFA) montre ainsi que la majorité des femmes ayant une déficience intellectuelle ne savent pas ce qu’est la ménopause – même après l’avoir vécue.
Le validisme se traduit aussi dans les pratiques : peu de professionnelLEs de santé prennent le temps d’interroger leurs patientEs handicapéEs sur leur vécu de la ménopause. Beaucoup de cabinets restent inaccessibles, et les outils de communication ne sont pas adaptés (absence de documents en FALC, d’interprètes en LSF, de versions audio, etc.).
Santé sexuelle : un droit, pas un privilège
Cette invisibilisation touche directement à la santé sexuelle, qui ne se résume pas à la contraception ou aux infections sexuellement transmissibles. La ménopause transforme la vie sexuelle : sécheresse vaginale, douleurs, baisse de libido… autant d’aspects qui demandent écoute, accompagnement et solutions adaptées.
Pourtant, dans le cas des personnes handicapées, ces sujets sont souvent ignorés ou niés. On présume qu’elles n’ont pas de sexualité ou qu’elles n’ont pas besoin d’accompagnement. Ce validisme prive nombre de personnes de leur droit fondamental à une sexualité épanouie et choisie. Or, la santé sexuelle est un droit humain reconnu par l’OMS : elle inclut le bien-être physique, émotionnel, mental et social lié à la sexualité.
En tant que paire-aidante, je constate chaque jour combien ce déni fragilise les personnes accompagnées. Il ne s’agit pas seulement de ménopause, mais de dignité, de choix, de pouvoir d’agir sur son corps et sa vie.
Handicap et santé mentale : une vulnérabilité accrue
La ménopause peut exacerber des troubles psychiques préexistants. Une étude publiée dans la revue Menopause (2025) montre que les personnes vivant avec des maladies mentales graves – schizophrénie, trouble bipolaire, dépression sévère – présentent une aggravation de leur santé mentale pendant cette transition. Pourtant, elles sont souvent mal préparées et peu accompagnées.
Cette négligence n’est pas anodine. Elle résulte d’un validisme qui considère les personnes handicapées comme « trop complexes » pour être intégrées dans les protocoles standards. Elle prive ces personnes d’outils d’éducation, de psychoéducation, de traitements hormonaux adaptés, et d’un suivi digne de ce nom.
De la recherche à l’action : des pistes pour une approche inclusive
Des initiatives existent et montrent qu’un autre modèle est possible.
SantéBD, par exemple, propose une bande dessinée en FALC sur la ménopause, personnalisable en fonction des situations de handicap, afin de rendre l’information accessible à toutes les personnes ayant un utérus (Coactis Santé, 2024).
Des associations comme l’AFFA militent pour une meilleure formation des professionnelLEs et pour une recherche centrée sur les réalités vécues.
Mais ces initiatives restent trop rares et trop isolées. Il est urgent que les politiques de santé intègrent systématiquement le handicap dans les stratégies liées à la ménopause, à la santé sexuelle et à la santé publique.
Reprendre le pouvoir sur nos corps
Parler de ménopause chez les personnes handicapées ayant un utérus, c’est refuser le silence imposé par des siècles de validisme et de sexisme médical. C’est affirmer que nos corps comptent, qu’ils méritent écoute, respect et soin.
C’est aussi rappeler que la santé sexuelle et reproductive ne doit jamais être un privilège réservé aux corps valides et cisnormés.
Je milite pour un futur où les parcours de soins sont pensés par et pour toutes les personnes concernées, où les cabinets médicaux sont accessibles, les informations compréhensibles, les soignantEs forméEs au validisme.
Parce que la ménopause ne doit pas être une épreuve supplémentaire pour les personnes qui vivent déjà avec un handicap – mais une transition de vie vécue dans la dignité, l’autonomie et le respect.
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