PairE-aidance en santé sexuelle et handicap : une pratique de l’empouvoirement encore trop peu reconnue
- Laetitia Rebord
- 18 juin
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 6 jours

Depuis plusieurs années, j’accompagne, en tant que paire-aidante professionnelle, des personnes en situation de handicap dans leur parcours vers une vie affective et sexuelle libre, épanouie, autodéterminée. Un accompagnement encore trop souvent invisibilisé, marginalisé, voire muselé. Pourtant, il touche à des dimensions fondamentales de la vie humaine : le droit d’aimer, de désirer, de choisir.
Un parcours personnel devenu démarche professionnelle
Je n’ai pas choisi ce métier par hasard. Je suis arrivée à la pairE-aidance à partir d’un besoin personnel profond : celui de ne plus me sentir seule face à mon désir de vivre pleinement ma sexualité, dans un monde où, en tant que femme handicapée, ce sujet semblait tout simplement… inexistant. Les luttes handies me laissaient de côté sur ce terrain-là. Je n’existais pas.
En 2009, j’ai suivi une formation à l’animation de groupes de parole sur la vie affective et sexuelle (VAS) avec Sheila Warembourg, dans le cadre d’un programme mené par Handicap International. Puis, je me suis engagée dès 2014 à l’APPAS, une association militante pour l’accompagnement sexuel. En 2016, j’ai fait appel à un accompagnant sexuel, ce qui m’a permis d’accéder à une première relation sexuelle à l’âge de 35 ans. Ces expériences m’ont transformée. Et j’ai su que je voulais, à mon tour, accompagner mes pairEs là où j’aurais eu besoin d’aide.
J’ai fondé Sexpair® en 2021, avec une mission claire : favoriser l’accès des personnes handicapées à une vie affective et sexuelle épanouie, en mobilisant les outils de la pairE-aidance. J’anime des groupes d’expression, je propose du coaching empowerment individuel, je forme les professionnelLEs, j’accompagne les aidantEs, et je sensibilise largement à travers des formats numériques (vidéos, podcasts, réseaux sociaux).
La pairE-aidance : bien plus que du témoignage
La pairE-aidance n’est pas un simple récit de vie. C’est une pratique d’accompagnement ancrée dans des savoirs d’expérience, digérés, analysés, transmis avec bienveillance et éthique. Il s’agit de co-construire avec la personne, en partant de situations similaires dans le vécu, mais sans jamais projeter ses propres désirs ou solutions.
Dans le domaine de la sexualité, cette approche est essentielle. Elle aide les personnes à :
Se réapproprier leur désir et leur corps,
Travailler leur estime de soi,
Sortir de schémas d’emprise liée notamment à la dépendance,
Explorer leur identité dans un cadre sécurisant.
Mais cette pratique, encore marginale, fait face à de nombreux obstacles.
Une légitimité sans cesse remise en question
En tant que professionnelle, je me heurte à un manque criant de reconnaissance. Le statut de pairE-aidantE professionnelLE n’existe pas officiellement, les financements sont rares, et l’image reste floue. Trop souvent, on réduit notre rôle à des témoignages inspirants – une forme d’occupation pour des personnes handicapées jugées « incapables de faire autre chose ».
Mais je ne suis pas une "intervenante colorée" que l’on invite pour diversifier un panel. Je suis une experte de terrain. Une professionnelle formée, engagée, qui accompagne, enseigne, forme, et transforme les pratiques.
Institutions : entre intérêt affiché et volonté de contrôle
Oui, de nombreuses institutions me sollicitent. Mais c’est souvent à condition de ne pas trop en dire. De ne pas parler de genre, de parentalité, de contraception, de grossesse. De ne pas « mettre d’idées dans la tête ». Et parfois, des professionnelLEs demandent même à assister aux groupes de parole, ce qui nie l’un des fondements de la pairE-aidance : la confiance, la confidentialité, l’espace entre pairEs.
Dans ces cas-là, je ressens une tension forte entre un discours d’ouverture et une volonté de garder le pouvoir sur les corps et les choix des personnes handicapées.
Empouvoirement : reprendre le pouvoir sur sa vie affective et sexuelle
La pairE-aidance, telle que je la conçois, est une pratique d’empouvoirement. Elle ne soigne pas. Elle accompagne. Elle ne remplace pas. Elle complète. Elle ne dicte pas. Elle permet de faire ses propres choix, dans un environnement trop souvent invalidant.
Elle permet à des personnes de s’autoriser à désirer, à aimer, à dire non, à dire oui, à explorer leur vie affective et sexuelle sans honte ni peur.
Mais pour que cela devienne une réalité accessible à toustes, il faut plus que de la bonne volonté.
Quelles solutions pour l’avenir ?
Voici quelques pistes pour donner à la pairE-aidance la place qu’elle mérite :
Créer un statut clair et reconnu pour les pairE-aidantEs, avec une rémunération juste.
Former les professionnelLEs à travailler en collaboration avec des pairE-aidantEs, sans méfiance ni contrôle.
Financer durablement les services de pairE-aidance, y compris dans le domaine de la santé sexuelle.
Donner accès aux personnes concernées à des espaces sûrs d’expression et de soutien, sans médiation institutionnelle obligatoire.
Repenser la place des savoirs expérientiels dans les politiques publiques et les formations professionnelles.
Une niche dans une niche, mais un levier immense
La pairE-aidance en santé sexuelle est encore une niche dans une niche. Mais elle agit sur des enjeux fondamentaux : l’autodétermination, la dignité, le droit au plaisir, la reconnaissance pleine des personnes handicapées comme sujets désirants et désirables.
Elle dérange parfois. Elle interroge. Elle bouscule. Et c’est très bien ainsi.
Ce que je défends, c’est un changement de paradigme. Un renversement des logiques. Un pouvoir partagé, transmis, transformé.
Parce qu’il est plus que temps que les personnes directement concernées soient actrices à part entière de leur vie – et pas seulement objets de soin ou de contrôle.
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